L'aube se dessinait à l'horizon. Les ombres tombaient doucement et l'on se trouvait dans ce drôle de moment où le jour appartient encore à la nuit. Une cavalière cheminait tranquillement au-delà des portes de la ville, capuche rabattue sur sa chevelure brune. Pelargir s'éloignait doucement à mesure qu'elle chevauchait et Aranel jeta un regard sur la cité de son enfance, se demandant vaguement quand elle aurait de nouveau l'occasion de contempler ce spectacle. La route serait longue jusque Dol Amroth et elle aurait fort à faire pour accomplir la mission donnée par sa mère. La brune repensa à ses parents qu'elle avait laissés, probablement paisiblement endormis à moins que son père, insomniaque notoire, ne soit pas déjà en train de contempler la même aube qu'elle. Pensait-elle vingt années auparavant que ses pas l'auraient conduite à cet endroit? Absolument pas. Née d'une famille bourgeoise, les mœurs du Gondor auraient voulu qu'elle s'en tienne à son rôle de fille sage et posée. Mais la jeune femme en avait décidé autrement. Ses parents également.

On chuchotait que son père avait tourné le dos à une lointaine famille noble de Minas Tirith, fils prodigue qui s'était entiché d'une fille du peuple, héritière d'une lignée de marchands  plutôt privilégiés. Elle n'avait jamais véritablement su, n'ayant pas eut l'occasion de connaître les membres de sa famille paternelle que celui-ci tenait pour morts. Sa mère avait repris l'héritage familial, faisant perdurer les affaires qui avaient pignon sur rue à Pelargir. Secrètement son modèle, cette femme indépendante dont elle avait hérité le caractère volatile s'était toujours défiée du regard des autres, jouant parfois de faux semblants en riant sous cap. Pour Aranel elle était restée un exemple. Une figure qui avait décidé de tracer sa propre route et de reprendre les affaires de son père dans ce monde qui faisait pourtant la part belle aux hommes et reléguait les femme au rang de mères et d'épouses. On avait pas tardé à propager des commérages sur cette femme indomptable qui ne savait pas rester à la place qui lui était échue par la société. Les mauvaises langues racontaient tout un tas d'histoires extravagantes à leur propos et sur leur étrange prospérité. Souvent, petite fille, elle était rentrée en pleurs  à la maison, rapportant un ragot entendu au coin d'une rue. La jeune femme gardait le souvenir de son père, homme fort et présence rassurante, qui la prenait dans ses bras pour la réconforter; chassant toutes ces balivernes d'un revers de la main. Elle se fichait bien du reste. Petite fille pleine de vie et espiègle, elle préférait se rappeler de ses jeux d'enfants à travers les rues de la ville et de son frère aînée se soumettant de mauvaise grâce à ses lubies de petite fille.

La gamine était passée d'enfant fantasque à adolescente têtue et rebelle, avide de voir le monde. Son père s'absentait si souvent à l'époque et sans se l'avouer, il lui manquait terriblement. Que faisait-il durant ces longes semaines? Ne pouvait-il pas l'amener avec elle? Tous ces commérages étaient donc vrai? Si ça se trouvait il n'était qu'un vile mercenaire, utilisant les affaires de sa mère comme couverture ? Elle avait entendu tellement d'histoires à son propos. Comment il disparaissait autrefois pour des voyages mystérieux dont il ne parlait jamais, comment elle était probablement la fille d'un meurtrier. Le héros de son enfance avait explosé de rire à cette idée rocambolesque.

Elle l'avait enquiquiné tant et si bien qu'il avait un jour accepté de l'amener avec lui. Et la jeune fille avait découvert qu'il ne s'agissait simplement que d'échanges commerciaux tout à fait conventionnels. Mais le virus de l'aventure s'était emparé d'elle et elle n'avait eut qu'une idée en tête, recommencer encore. Abandonner toute cette mascarade de jeune fille rangée et partir sur les routes. On l'avait élevée pour faire d'elle une jeune femme indépendante et aux leçons de sa mère s'étaient ajoutés des exercices d'un genre bien particulier. Des séances auprès de maîtres d'arme et de son père qui, faisant remonter des souvenirs depuis longtemps enfouis lui avait enseigné l'art de tenir un sabre et de savoir se défendre. Ses parents avaient toujours refusé qu'elle profite du milieu privilégié dont elle était issue, même s'il fallait avouer que c'était bien grâce à ça qu'elle avait pu se permettre de choisir cette voie, se reposant sur la fortune familiale.


Les années s'étaient succédé et avec elles l'expérience. Elle s'était mise à voyager en compagnie des convois et des employés de confiance que sa mère lui envoyait pour la guider. Petite fille issue d'un milieu favorisé, elle avait essuyé les blessures, les hématomes et la rudesse d'une vie sur les routes. Aranel qui croyait tourner le dos à l'héritage familiale, suivait sans les voir, les traces laissées pour elle par sa mère, qui avait toujours espéré autre chose pour sa fille que la vie d'une demoiselle de bonne famille. Il y avait eut des désaccords et des différents. Elle s'était heurtée à ses parents dans sa volonté de partir seule pour enfin se défaire de ces chaperons qu'ils tenaient à lui envoyer. Elle avait commis bien des erreurs et s'était trompée beaucoup de fois mais elle était libre de choisir et de devenir la personne qu'elle voulait être. A vingt-huit ans, Aranel n'était plus une petite fille capricieuse mais une jeune femme indépendante. Eclaireuse pour le compte de sa mère, elle accompagnait à travers le Gondor les convois de marchandises afin de les protéger, s'éloignant parfois au delà des frontières lorsque c'était nécessaire.

Et une rumeur venue du nord était venue tout bousculer. On chuchotait confusément que quelque chose se préparait. Au cours de ses nombreux voyages, elle avait entendu les racontars les plus improbables. Après ce conte extravagant et ces histoires de dragon, on avait cru le calme revenu. Mais une ombre se profilait à l'horizon. Personne ne savait quoi mais on sentait sans se l'avouer que tout était sur le point de basculer.